vendredi, octobre 4, 2024

Rencontres Économiques 2023 – Philippe Aghion

Philippe Aghion est un économiste français,  il est également professeur au Collège de France, à la London School of Economics et à l’INSEAD ainsi que membre du cercle des économistes.  Nous avons eu l’occasion de l’interviewer lors de l’édition 2023 des  Rencontres Économiques d’Aix, où il intervenait dans la session spéciale.

EP :  Vous déclariez sur BFM Business le 8 juin 2023 qu’il y avait une réflexion à mener sur la qualité du travail. Quelles pourraient être d’après vous, des pistes pour améliorer le rapport au travail des français ? 

PA :  Il y a d’abord un problème des salaires, on laisse trop souvent les gens au même salaire sans progression. Ce qui est vraiment mal pensé dans le travail c’est qu’il n’y aucune motivation pour travailler car il y a très peu de perspectives de promotion et d’augmentation de salaire. C’est un gros problème, il y a  un écrasement de l’échelle des salaires avec en plus très peu de chances d’arriver directeur d’une entreprise par promotion interne.  On démotive. En France, la façon de faire travailler les gens  et de leur dire que ce qu’ils font n’est pas bien via des engueulades et des humiliations. On est humilié par son supérieur et on humilie son subordonné, c’est un problème. Il y a un mauvais climat dans les entreprises françaises. Il faut une culture d’entreprise différente, il faut aussi résoudre le problème du harcèlement au travail que différents intellectuels comme Dominique Méda et Thomas Philippon ont documenté à travers leurs travaux. Il faudrait peut être donner un rôle plus important aux syndicats et aux représentants des salariés dans l’entreprise avec plus de participation  aux conseils d’administrations comme le fait l’Allemagne. 

EP : Il y a récemment eu un rapport écrit par les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz sur le financement de la transition écologique…

PA : En fait c’est un rapport qui n’est pas sur le financement mais sur le coût de la transition énergétique et puis ensuite, ils ont rajouté quelques idées sur le financement. Je trouve que cette question [du financement] est très complexe et qu’elle nécessite un autre rapport. Je suis en total désaccord avec l’idée d’un impôt supplémentaire sur le capital. Au contraire, il faut faire participer le capital et l’inciter sans lui tomber dessus. La France est déjà l’un des pays qui taxe le plus le capital. La solution passe par des partenariats publics-privés comme des garanties d’État pour le placement de l’épargne dans l’innovation et la production verte, ou bien un emprunt européen engagés sur les revenus de la taxe carbone et des ETS (systèmes d’échanges de quotas d’émission carbone) pour faire du développement-banking. 

EP : L’innovation est-elle pour vous le principal levier pour lutter contre le réchauffement climatique ?

PA : Je pense que c’est un levier important. Il nous faut changer dans nos comportements évidemment. Il va y avoir l’adaptation, mais celle-ci requiert aussi l’innovation qui va nous permettre de nous adapter plus facilement à moindre coût et de produire avec moins d’énergie et d’utiliser de nouvelles sources d’énergie. Il faut de l’innovation pour rendre ça plus accessible via l’hydrogène, la fusion nucléaire ou les énergies renouvelables. Il y a peut être aussi des « plans B », des gens travaillent sur le refroidissement de l’air, je trouve que c’est intéressant, il ne faut pas abandonner non plus. Il y a différentes pistes pour à la fois s’adapter mieux, émettre moins de CO2 et peut être essayer de refroidir l’air.

EP : Dans une interview donnée au Figaro au mois de septembre aux côtés de l’économiste Jean Tirole , vous expliquiez  que les français n’ont plus confiance en l’État. Comment serait-il possible d’après vous de remédier à cela ?

PA : Il faut essayer de montrer que chaque euro d’argent public dépensé est utile. Il y a beaucoup trop de niveaux de gouvernement et un État qui est trop gros. Beaucoup de gens sont payés à vous embêter, car ils n’ont rien d’autre à faire. On ferait mieux de les utiliser comme infirmiers instituteurs ou tuteurs des enfants. Je pense qu’il y a une très mauvaise allocation des fonctionnaires, trop de bureaucratie et de niveaux de gouvernement. . Il y aussi des endroits où l’on travaille trop peu, ce n’est pas acceptable que des gens travaillent 29 heures par semaine. Il faut que 35 heures soit un seuil minimal absolument obligatoire. Il y a aussi des gens qui travaillent à faire des choses pas utiles au sein de l’État. 

EP : Vous aviez pris  position en faveur d’Emmanuel Macron durant sa campagne de 2017,  et vous avez récemment déclaré dans Libération qu’ abaisser l’âge de la retraite à 65 ans était « injuste et inefficace» …

PA : Je considérais que ce qu’il fallait faire était la manière suivante : je pense que, même s’il jamais dit, Berger (Laurent Berger Ancien secrétaire général de la CFDT) était prêt à transiger à 63 ans. On pouvait essayer 63 ans de toute façon, l’âge de départ à la retraite aurait été décalé à 63 ans en 2027. Au lieu d’agiter l’épouvantail de 64 ans, moi j’aurais personnellement mis 63 avec accélération de la réforme Touraine (qui allonge la durée de cotisation nécessaire pour un départ à la retraite ).Je pense que cela aurait consommé moins de capital politique. Cela dit maintenant la réforme des retraites est là, tant mieux elle va nous aider à faire plein de choses. Sur le fond, j’étais pour une réforme des retraites, je pense que la bataille est bonne, mais moi personnellement, j’aurais transigé sur 63 ans.

Enfin, maintenant, c’est du passé, il faut aller vers l’avenir et partir de là où l’on est, on ne va pas s’apitoyer sur ce qui s’est passé.

EP : Est ce que cela a changé votre regard sur les six ans de gouvernance d’Emmanuel Macron ? 

PA : Non pas du tout, Emmanuel Macron a fait beaucoup de bonnes choses. il a réduit le chômage considérablement avant même qu’il soit président. Le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) et les lois El-Khomri, c’est lui, tout cela a contribué à réduire le chômage. Le tournant de l’offre qui a démarré sous François Hollande provient d’Emmanuel Macron en grande partie. Il a énormément de mérite dans le fait que le taux de chômage n’a jamais été aussi bas, que les créations d’emplois n’ont jamais été aussi élevées, et il a [à son crédit] la réforme de la Flat Taxe, la réforme Pénicaud, la réforme de la formation professionnelle… Ce sont des grandes réformes qui à mon avis permettent vraiment de s’attaquer au problème du chômage. Donc il va y avoir davantage de faits, je pense qu’il a la bonne approche et maintenant, il va s’attaquer au chantier de la désindustrialisation et essayer de réindustrialiser, c’est très bien. Sur le plan de la politique économique, je pense que les fondamentaux sont très justes.

EP : Comment voyez-vous les prochaines années sur le plan politique ? 

PA : Le problème est que le Président n’a pas une majorité absolue, et que chez Les Républicains il y a beaucoup d’ambitions présidentielles et donc certains ne lui feront pas de cadeaux. Alors peut-être qu’il peut trouver suffisamment de gens qui sont prêts à jouer le jeu avec lui. La cause est belle de dire que l’on reconstruit la France et redonne de l’espoir après les émeutes, mais cela va être compliqué pour lui [Emmanuel Macron] car il faut qu’il trouve des majorités sur chaque chose. Je pense que c’est possible sur la réindustrialisation ou sur un plan d’urgence pour les jeunes, mais c’est difficile pour lui. Un défi maintenant est, comment éviter que Marine Le Pen devienne présidente en 2027.

EP : Emmanuel Macron ne peut pas tellement « mettre de l’eau dans son vin» car le gouvernement ne semble pas vouloir trop négocier avec la NUPES ( Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale)… 

PA : Le problème de la NUPES est qu’ils jouent la stratégie du pire. Jean-Luc Mélenchon joue sur la victoire de Marine Le Pen, car il pense qu’il a une chance plus grande après si elle gagne. Donc la Nupes fait la courte échelle à Marine Le Pen. C’est ça la vérité, Macron à cette situation-là devant lui. Donc il faut voir si les socialistes ou les communistes sur telle ou telle mesure sont prêts à jouer le jeu avec d’autres partis. Mais Mélenchon, on a vu, c’est quand même scandaleux qu’il n’ait pas appelé au calme [durant les émeutes de juin 2023], C’est du Lambertisme (courant trotskiste lancé par Pierre Boussel, alias Pierre Lambert en 1988). Jean-Luc Mélenchon joue à mettre la pagaille pour prendre le pouvoir. C’est fou, n’est plus comme ça qu’on raisonne et on sait que ça donne les pires catastrophes

EP  : Emmanuel Macron est souvent représenté comme aspirant à faire de « grandes réformes», pour l’instant le gouvernement cherche des majorités textes par textes sur des enjeux  «  moins fondamentaux », en raison de l’absence de majorité absolue à l’assemblée nationale. Un accord avec Les Républicains (LR) pourrait-il être selon vous une solution ?

PA : Il n’y aura jamais d’accord global parce qu’il y a trop de républicains qui ont des ambitions présidentielles et il y en a qui à cause de ça font la course avec l’extrême droite. On voit bien qu’il y a quand même de la surenchère. Je vois des gens qui proposent d’instaurer un an de prison ferme immédiat en cas d’attaque d’une force de l’ordre. C’est de la démagogie, ce n’est pas sérieux. Il y a des gens raisonnables chez les LR, il faut essayer de s’entendre réformes par réformes avec eux ainsi que les socialistes, communistes et écologistes intelligents. C’est comme cela qu’il doit naviguer.

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