Alexandra Bensaid est une journaliste française spécialisée dans les questions économiques et sociales sur France Inter. Elle produit et présente le magazine On n’arrête pas l’éco, chaque samedi matin depuis 2010. Nous avons eu l’occasion de l’interviewer lors des Rencontres Économiques d’Aix, où elle modérait la conférence « S’emparer de la transition écologique. »
EP : qu’est-ce qui a motivé votre venue au Rencontre Économiques d’Aix 2023
AB : Cela fait de nombreuses années que je viens régulièrement, et comme la rentrée pour moi se fait courant août, je viens recharger la boîte à idées. Je viens essayer d’écouter, essayer de voir quelles sont les grilles de lecture des uns et des autres, où en est l’état des débats que ces derniers soient sur le logement, les taux d’intérêts, les banques centrales, la place des femmes. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il y a à la fois un mélange d’économistes, de beaucoup de chefs d’entreprise, de syndicalistes, de représentants de la société civile. Ces gens-là déclinent notre grille de lecture, et parfois lors d’une table ronde, ils arrivent à interagir et à se dire des choses, et c’est à ce moment-là que l’on peut repérer quels sont les grandes questions.
EP : En tant que journaliste comment est-ce que vous vous emparez de la transition écologique ? Comment est-ce que vous réagissez face à des discours climatosceptiques ? Ou à l’inverse face à des discours éco-anxieux ?
AB : Sur les discours climato-sceptiques, il n’y a presque plus de discours climato-sceptique en Europe, personne ne dit : « la transition écologique on s’en fiche ». Cependant, on voit bien que les ONG, les experts nous disent que les entreprises sont engagées dans une transition, mais que leur référentiel (quelles sont la trajectoire qu’elles se fixent, comment elles mesurent leur effort) dépend de chaque entreprise. Et c’est là que certains militants pour le climat sont plus sévères, et que certains experts, mais en off, disent qu’il y a encore trop de greenwashing. Mon boulot, lorsque je traite de ces questions avec les entreprises, est alors de poser les bonnes questions et de leur demander si ça va changer leur vie, parce que l’idée, c’est d’attirer les financiers en notant bien les boîtes qui sont vraiment vertes. Mais surtout en ayant un langage commun. Le but est en partie de les mettre face à leur contradiction ou aux limites de la démarche.
Sur l’éco-anxiété, notamment chez les jeunes, il est plus difficile pour moi de l’aborder dans mon émission économique. On a fait par exemple des reportages parce que ça impacte les entreprises et je dirais même les décisions publiques sur ces jeunes notamment à Polytechnique qui commencent à refuser d’aller dans certaines entreprises pourtant très grandes et prestigieuses où ils seraient très bien payés. ça c’est la façon de traiter les éco-anxiété des jeunes
EP : Ayant commencé votre émission en 2010, pouvez-vous dire si le développement durable a trouvé sa place dans les discours des différents invités ?
AB : Mais bien sûr, quand on a lancé l’émission de 2010 ce n’était pas du tout ça le sujet. À partir de 2015 on a la prise de décisions forte comme avec les accords de Paris en essayant de limiter à 1,5 degrés Celsius l’augmentation des températures en moyenne, ou encore le fait d’arrêter la vente de moteur qui émettent du CO2 en 2035, Tout ça a fait qu’en réalité les entreprises qui n’en parlaient pas jusque-là se sont retrouvés aiguillonnés. D’ailleurs notre table ronde lors des rencontres économiques s’appelait « S’emparer de la transition écologique », et s’emparer est un verbe d’action ce qui veut dire que l’action n’est pas là, qu’on n’est pas au niveau que ce soit des États ou des entreprises. Le discours fait partie aujourd’hui des grands dossiers, quand on demande au chef d’entreprise qu’est-ce qui les occupe en ce moment, ils disent « et bien sûr la transition », certains ne disent plus la transition, mais la transformation comme le patron de la SNCF. Donc les discours ont changé. Après, ce sont les journalistes pour les interviews, ou les journalistes d’investigation qui doivent vérifier que l’action suit.
EP : Que pensez-vous du rapport qu’à la jeunesse avec l’information aujourd’hui ? Et est-ce que l’engagement de la jeunesse aussi louable soit-il n’amène pas à une perte de neutralité en voulant écouter une information qui irait dans leur sens ?
AB : Ce que je pense de la façon dont la jeunesse s’informe, et en particulier la radio, c’est que cette dernière subit un problème de vieillissement de l’audience. En effet, on est très soucieux du pluralisme, de la diversité, mais on a un sujet à régler en tant que radio et auquel France Inter travaille notamment sur le fait d’essayer de captiver cette audience, arriver à la faire venir via des réseaux sur lesquels ils se mettent et s’informent. Avec France Inter, on fait des essais sur TiK ToK, on est sur Twitch. Maintenant, si on parle purement de l’information, on fait des podcasts. On est ce média qui existe et qui est fiable, mais qui doit s’adresser encore plus et faire des efforts vers cette audience. Le sujet de cette audience est, il me semble que les jeunes ne devraient pas autant compter sur les réseaux sociaux qui les mettent dans une bulle informationnelle (on s’abonne à des trucs qu’on aime.), moi la première, mais du coup, on n’est pas challengé, on n’apprend pas à lire des choses qui nous heurtent et du coup à réfléchir. Je ne suis pas sûre que de toujours se mettre sur les mêmes médias soit bénéfique, il faut avoir un esprit critique qui se développe en écoutant les autres et en acceptant leurs arguments et en développant des arguments pour les contrer. Ça, c’est un des dangers auxquels fait face à la jeunesse. Et il y a un autre danger pour lequel on a une responsabilité en tant que journaliste, à savoir : est-ce que les jeunes ont assez conscience de la qualité des sources ? Dans l’éducation aux médias qu’on devrait tous avoir et donner, c’est d’abord de dire aux jeunes « ok, c’est bien de s’informer, mais qui t’informe ? D’où vient l’information ? qui te parle ? Payé par qui ? Financé comment ? ». Ça, c’est le métier de journaliste, et il faut du temps. Je ne pense pas que l’on puisse tout traiter en 15 secondes. Pour le rapport des jeunes à l’information, il faut vraiment qu’on se rapproche rapidement les uns des autres.