Marina Mesure est eurodéputée et membre de La France Insoumise. Elle fait partie du groupe GUE/NGL (Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique), le groupe le plus à gauche au sein du Parlement européen. Elle a pendant longtemps travaillé et milité au sein de plusieurs syndicats, comme la Fédération internationale du bois et du bâtiment (syndicat européen) ou encore à la CGT (Confédération Générale du Travail). Elle est depuis juin 2022 députée européenne, suite à l’élection de Manuel Bompard à l’Assemblée nationale. Marina Mesure a hérité des commissions de ce dernier, elle siège donc à la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, ainsi qu’à la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie. Ayant fait une intervention à la FEG sur le site Colbert à Marseille, nous avons eu la chance de pouvoir l’interviewer sur sa profession de députée européenne, sur son parcours, ainsi que sa vision de l’Union européenne.
EP : Qu’est-ce qui au cours de votre parcours vous a donné envie de faire de la politique ?
MM : J’ai un parcours un petit peu atypique, je suis diplômé d’HEC Montréal, c’est les combats notamment sur les droits sociaux qui ont été déterminants dans ma « carrière politique ». Je n’aime pas trop ce terme, car je considère que c’est vraiment un engagement militant. Pendant plusieurs années, j’ai défendu les droits des travailleurs à travers le monde, aussi bien les travailleurs migrants au Qatar que plus récemment les travailleurs détachés. Ce statut a été instauré par l’Union européenne en 1996 pour que lorsque les travailleurs viennent et se déplacent dans l’Union européenne pour travailler, ils aient un certain nombre de droits qui leur soient appliqués. Ce statut est problématique, car les travailleurs en question se retrouvent avec des rémunérations qui ne sont pas les mêmes que les travailleurs locaux. On a donc pu avoir des scandales avec des travailleurs roumains qui se retrouvaient à travailler plus de 60 ou 70 h par semaine pour 800 euros par mois. On a vu des formes d’exploitations se développer sur tout le territoire français et l’Union européenne. En France, on a pu avoir plus d’un million de travailleurs détachés. La bataille pour les défendre m’a amené à me questionner sur le modèle européen, car je me suis demandé comment cela se faisait que l’Union européenne avait mis en place ce statut qui me paraissait contradictoire avec le droit international. La France a notamment ratifié un certain nombre de conventions à l’OIT où elle s’engage à ne pas faire de discriminations entre les travailleurs. Mais si vous n’avez pas les mêmes rémunérations et la même protection sociale. Vous êtes discriminé dans vos droits. Cela m’a donc conduit à mener des batailles, notamment à Dunkerque avec des travailleurs roumains qui touchaient des bulletins de paie à 0 euro. À la suite de cela, j’ai commencé à être un peu médiatisé en France sur les questions de travail détaché et les combats que je menais avec la CGT. C’est à ce moment-là, en 2018, que la France Insoumise qui avait repéré mon combat, m’a proposé de continuer à défendre les travailleurs européens au parlement, sur leur liste. C’est comme cela que je me suis engagé en politique et que je me suis présenté aux élections européennes en 2019 et que j’ai été plus récemment élu.
EP: À quoi peut ressembler une semaine de travail lorsque l’on est une députée européenne ?
MM : Chaque député a une manière différente de concevoir son mandat. Certains vont vouloir tout miser sur leur travail en commission parlementaire. Moi, je siège dans deux commissions : la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, ainsi que la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie. Certains députés vont donc rester du lundi au vendredi à Bruxelles et se concentrer sur un travail de fond législatif. Moi, j’ai fait un choix un peu différent, je continue d’effectuer un travail législatif en travaillant sur des dossiers et dépose des amendements, mais j’ai voulu également conserver une action militante sur le terrain. Ma semaine se compose donc de cette façon : Le lundi, je suis à Paris pour des réunions et coordonner les actions politiques que l’on peut avoir au niveau national, le mardi, mercredi et jeudi, je suis en commission parlementaire à Bruxelles et je rentre le jeudi soir pour faire des actions de terrains, le vendredi samedi et dimanche. Par exemple, je fais des rencontres avec des associations d’aides alimentaires, ou bien des élus pour voir quelles sont les préoccupations des gens. Je mène également des batailles en lien avec le transport, nous défendons la gratuité du transport à l’échelle métropolitaine. Donc, je vais voir des gens qui ont créé des collectifs pour se battre pour des causes qui leur sont chères et à nous aussi, notamment sur les questions sociales et écologiques. Ma semaine s’articule donc entre des commissions et du travail de terrain pour représenter les gens en étant à leurs côtés afin de mieux défendre leurs préoccupations, notamment sur la précarité alimentaire, la protection de l’environnement ou les questions énergétiques. J’ai notamment réalisé une enquête en PACA à la rencontre des boulangers pour voir leurs activités et la hausse de leur facture d’électricité. Ces rencontres m’ont conduite à formuler des propositions au parlement pour défendre des tarifs réglementaires de l’énergie et une sortie du marché européen de l’énergie qui rend l’électricité et les prix spéculatifs. Ce sont donc des batailles qui allient le quotidien des gens et le travail au parlement.
Il y a également une fois par mois, une semaine où le Parlement se déplace à Strasbourg pour adopter les textes de lois votés en commission.
EP : Quelle est la place des lobbys au sein du Parlement européen. Et comment ressentez-vous leurs influences sur le Parlement et les décisions prises au sein de l’Union européenne.
MM : Leur poids est trop important, car ils sont très présents, après Washington, Bruxelles et la deuxième place qui compte le plus de lobbyistes au monde. Ce sont des groupes d’intérêts privés qui vont influencer les politiques européennes, économiques, sociales et environnementales. On regrette depuis de nombreuses années que rien ne soit mises en place pour limiter leur influence et rendre transparents les travaux des députés. En tant que parlementaire européen, on devrait rendre des comptes au citoyen et mettre en place des registres de rencontres réalisées. Nous le faisons bénévolement, mais sur les scandales de corruption de ces derniers mois (Qatar et Maroc Gate), on se rend compte que des lobbyistes ou des influences étrangères arrivent jusqu’au parlement sans que ces rendez-vous ne soient répertoriés ainsi que de potentielles rétributions. Nous exigeons donc plus de transparence vis-à-vis de ces lobbyistes qui devraient, selon moi, ne pas pouvoir entrer dans le Parlement européen en raison de ce qu’ils y font en l’influence néfaste qu’ils y ont. Nous souhaiterions donc rendre obligatoire la déclaration des rendez-vous avec les lobbyistes, ce qui n’avait pas été fait par les parlementaires impliqués dans le Qatargate. Nous voudrions également mettre en place des sanctions dissuasives sur les voyages et cadeaux offerts, ainsi que plus de moyens de contrôle des lobbys pour que les questions traitées au Parlement européen se fassent dans un meilleur cadre et sans l’influence de ces lobbyistes.
EP : Pour vous, quels sont les 3 fondamentaux qui ont fait l’Europe d’aujourd’hui ?
MM : Initialement, c’était un idéal de paix, aujourd’hui, c’est difficile de répondre à cette question, car les fondamentaux reposent notamment sur un respect de ces droits fondamentaux. Or, l’on voit bien que certains pays au sein de l’Union européenne ne respectent pas ces droits, notamment la Hongrie ou la Pologne qui ont mis en place des zones anti LGBTQIA+, qui font des retours en arrière sur le droit à l’avortement ou l’indépendance de la justice. Tout ce qui était censé être les bases pour former cette Union européenne et qu’elle fonctionne le mieux possible ont été bafoués. Quand on rentre dans les traités, on se rend compte qu’ils interdisent toute harmonisation fiscale et sociale. C’est déterminant, car cela entraîne une concurrence constante entre les États pour avoir la meilleure fiscalité pour attirer les sièges des entreprises. On devrait plutôt être dans un esprit constructif, de paix et de solidarité plutôt que de chercher à savoir qui mettra en place la fiscalité ou les normes sociales les plus basses pour permettre à son pays d’être plus compétitif. C’est ça qui a un peu, selon moi, tué l’idée de paix qui doit être portée dans le futur et qui a d’ailleurs été menacée avec l’invasion de la Russie en Ukraine aux portes de l’Union européenne. Les traités qui constituent la base de l’Union européenne sont aussi une entrave à une coopération harmonieuse au sein de l’Union européenne.
EP : Selon vous, l’environnement ne devrait-il pas devenir un filtre pour nos débats et décisions à l’instar de la loi ?
MM : L’environnement devrait être au cœur de toutes les politiques mises en place du fait de l’urgence de la situation. On va vers une catastrophe écologique majeure si on ne prend pas les bonnes décisions rapidement. Là encore, force est de constater que l’Union européenne ne prend pas les décisions qu’elle devrait prendre pour faire face à cette catastrophe écologique, qui a d’ailleurs commencée quand on voit des alertes sécheresse en février. Mais aujourd’hui, l’Union européenne continue avec son modèle qui n’a pas pour but de protéger l’environnement. On le voit notamment avec les accords de libre-échange qui ont pour effet d’accentuer toujours plus le « grand déménagement » du monde. Nous allons chercher nos tomates à l’autre bout du monde alors que l’on aurait les moyens de produire localement, mais l’on va miser sur ce qui sera le moins cher. Forcément, si nous ne mettons aucune taxe aux frontières, nous pouvons avoir des produits moins onéreux, car réalisés avec de moins bonnes normes sociales ou environnementales. Le protectionnisme solidaire avec des taxes devrait permettre de ne pas faire venir des produits à bas coûts de l’autre bout du monde.
Sur la question énergétique, la France est le seul pays de l’Union européenne qui n’a pas respecté les objectifs qui lui ont été fixés au niveau des énergies renouvelables alors qu’ils n’étaient déjà pas très ambitieux. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’État a été condamné deux fois pour « inaction climatique », aucun des objectifs de la COP (Conference of parties) n’a été respecté. Ce n’est pas possible, alors que la catastrophe est là, d’avoir aussi peu de réactions politiques. Emmanuel Macron est à l’image de l’Union européenne, dans l’inaction, par rapport aux défis devant nous. C’est tragique, car il faut agir vite sur la question écologique, et le fait d’avoir ces dirigeants qui ne prennent pas les bonnes décisions est extrêmement préoccupant.