Dans un monde où les pays en développement ne cessent de s’imposer face aux grandes puissances économiques mondiales, la croissance reste la quête perpétuelle des politiques économiques. Considérée comme une source de prospérité dans le domaine, la zone euro a été au cœur de nombreuses stratégies économiques nationales visant un renforcement de la stabilité monétaire et une amélioration des échanges commerciaux des États membres de l’Union européenne qui souhaitaient tirer parti du marché unique. Composée de 20 membres, la Croatie est le dernier pays à avoir intégré la zone euro, le 1er janvier 2023. La Roumanie y a également prêté une forte attention.
Bien qu’elle ne soit pas directement sous la lumière des projecteurs sur la scène internationale, la Roumanie s’est progressivement démarquée sur le plan économique au niveau européen depuis son adhésion à l’Union européenne, le 1er janvier 2007. Atteignant des prévisions de croissance de 3.4% en 2024, le pays se trouve dans la liste des pays les plus dynamiques de l’Europe. Ainsi, essayer de profiter d’un boom économique supplémentaire par l’intermédiaire de l’intégration à la zone euro est compréhensible.
L’intégration de la zone euro : un engagement à honorer ?
L’intégration à la zone euro ne représente pas une obligation à laquelle les pays membres de l’Union européenne doivent se soumettre. Garder sa monnaie nationale en circulation est totalement envisageable. Cependant, afin de bénéficier des avantages conférés par la monnaie unique et par la stabilité économique qu’elle engendre, la majorité des États membres de l’Union préfère y adhérer, et est fortement encouragée à le faire.
En effet, constituant près de 75% du PIB de l’Union européenne en 2018, l’envergure de la zone euro est considérable, représentant alors la troisième puissance économique mondiale. De plus, depuis la crise des subprimes de 2008, trois améliorations importantes ont été apportées à la zone euro, concernant principalement des objectifs de relance de l’économie par l’intermédiaire d’investissements, d’aider les pays en difficulté et de surveiller les finances publiques des États membres1. C’est donc compréhensible, au vu des modifications apportées et celles à venir, dont un potentiel « budget de la zone euro » par exemple, pourquoi la majorité des États membres de l’Union penchent vers l’euro.
Un mécanisme complexe : les conditions de convergence
Le passage à l’euro n’est pas une des choses les plus anodines que la Roumanie puisse faire au sein de l’Union, loin de là. De fait, la convergence économique souhaitée par le pays est soumise à des conditions particulières, énoncées à l’article 140, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Quatre critères doivent alors être remplis: la stabilité des prix, des finances publiques saines et viables, la stabilité du taux de change (analysée à travers la participation du pays au MCE II pendant au moins deux ans) et un taux d’intérêt à long terme qui ne dépasse pas de plus de 2 points de pourcentage celui des trois États membres présentant les meilleurs résultats en termes de stabilité des prix. 2 Finalement, la compatibilité entre la législation roumaine et celle de l’Union européenne peut également être prise en compte pour rendre la convergence économique effective, bien qu’elle ne soit pas énoncée comme une condition à proprement dit.
Si on analysait le respect de ces critères en 2022, soit la date à laquelle l’État roumain souhaitait intégrer la zone euro initialement, nous pourrions mieux comprendre pourquoi cette intégration n’a pas eu lieu. En effet, selon un rapport de la Banque centrale européenne réalisé durant l’année en question3, parmi les cinq critères énoncés (si nous prenons en compte la compatibilité des deux législations) la Roumanie n’en respectait aucun.
Pour être plus précis, elle respectait des sous-critères mais pas des critères en leur entièreté, respectant respectivement la règle sur la dévaluation du cours pivot bilatéral de sa monnaie par rapport à l’euro mais aussi celle selon laquelle le ratio de la dette publique ne devrait pas dépasser 60% du PIB. L’intégration de la zone euro n’était ainsi sûrement pas réalisable.
L’année durant laquelle le pays semblait être réellement proche d’atteindre cette intégration, avec trois sur cinq des critères remplis, c’était l’année 2016. Malheureusement, depuis ce moment-là, la situation ne semble pas être en faveur de l’Etat roumain. Comme le dirait Dr. Dan Chirleșan, professeur d’économie à l’université Alexandru Ioan Cuza de Iași, « Nous nous joindrons (à la zone euro) quand nous pourrons nous le permettre ».
La Roumanie et la zone euro : un processus précipité ?
La promesse de l’intégration de la zone euro a perduré pendant un peu plus de sept ans, voire même plus. Dans de nombreux journaux se dessine, au fil des années, le même schéma. « La Roumanie se voit adopter l’euro dans… […] » déclarent la majorité, en énonçant des dates au fur et à mesure différentes les unes des autres.
Un article du 28 août 2017, du magazine La Tribune et rédigé par Laszlo Perelstein4, annonçait notamment une prévisible intégration de la zone euro en 2022 ce qui, comme on le sait désormais, n’a pas été le cas. Un autre, rédigé par Matthieu Lasserre pour le journal La Croix en 2022, vient clarifier les choses, changeant à nouveau la donne sur la réalisation du processus qui passe de 2022 ou 2024 à 2028, voire 2029.
« On va se redresser entre 2021 et 2024 (…) il est difficile de discuter de l’adhésion à la zone euro pendant une crise économique« . Nicolae Ciucã, Ministre roumain 2021
Mais que représente concrètement cette intégration financière? Comme indiqué sur le site du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne, dans une infographie sur la question de l’adhésion à la zone euro, adopter l’euro équivaut à « fixer à titre permanent le taux de change entre la monnaie nationale et l’euro », mais aussi « transférer la responsabilité en matière de politique monétaire à la Banque centrale européenne ». Autrement dit, cela signifierait pour la Roumanie d’abandonner sa monnaie nationale, le « leu », et de le remplacer par l’euro, la Banque nationale de la Roumanie se devant elle aussi d’accepter de transférer ses compétences sur la politique monétaire à la Banque centrale européenne.
Les arguments pour et contre l’intégration de la Roumanie à la zone euro sont nombreux. D’un côté, l’intégration de la zone euro serait favorable à la Roumanie puisque respecter les conditions de convergence ne pourrait qu’aider la situation économique du pays, offrant une certaine stabilité monétaire avec les autres États membres de l’Union. Par ailleurs, la concordance de la monnaie roumaine à la monnaie européenne fera disparaître le taux de conversion et les risques de fluctuations du taux de change, facilitant la vie quotidienne des citoyens roumains et des entreprises lors de leurs opérations d’importations et exportations et, ainsi, leur accès au marché commun. Finalement, dans l’ensemble, l’euro est reconnu globalement et confère ainsi une crédibilité internationale aux États membres de l’union monétaire européenne.
D’un autre côté, les contre-arguments sont importants également. En effet, non seulement la Roumanie n’est pas encore prête à passer ce cap du point de vue de son non-respect des critères de convergence, cela signifierait aussi un abandon de sa souveraineté monétaire et un manque de flexibilité de la monnaie en fonction des besoins spécifiques du pays. Le fait qu’elle ait pu profiter de certains leviers d’action sur son taux de change lors des crises qui ont eu lieu dans la zone euro lui ont permis d’être plus ou moins à l’abri des conséquences que ces dernières ont pu entraîner au fil des années, dont notamment l’austérité imposée par la BCE et la FMI à laquelle ont été soumis certains États membres. 5
Mais qu’en est-il de l’opinion publique sur le sujet? Que pensent les Roumains? Selon plusieurs Eurobaromètres, depuis 2007, plus de 50% des citoyens Roumains interrogés étaient en faveur de l’adoption de l’euro dans les marchés nationaux et, selon un Eurobaromètre d’avril 20226, 65% des personnes interrogées considéraient que l’introduction de l’euro aurait des effets positifs sur l’état du pays.
En résumé, il est clair que la Roumanie aspire fortement à intégrer la zone euro. Mais, afin d’y parvenir, il s’agirait d’abord de se confronter aux critères de convergence qu’elle ne remplit pas, ou pas tout à fait, et qui lui posent des difficultés dans l’accomplissement de son objectif. Réussira-t-elle à l’atteindre? Possiblement. Sera-t-elle le prochain pays à intégrer la zone euro? Il semblerait que cela soit le cas, bien que rien ne soit « gravé dans le marbre ». Enfin, son intégration potentielle marquera-t-elle le début d’une nouvelle ère pour le développement et l’essor de l’économie roumaine? Tel est l’enjeu de la question.